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Note de lecture : "Logique du sinthome. Mise en pratique."


de Fabienne HULAK Champ Social Éditions, septembre 2016

Dans le livre de Fabienne Hulak, nous pouvons bénéficier d'une lecture riche et originale autour de la mise en pratique du sinthome comme annoncé dans le titre. Nous sommes déjà saisis par son choix de couverture, un tableau de Adolf Wölfi dont l'exemple est abordé à plusieurs reprises au fil de l'ouvrage. L'auteur précise dans la quatrième de couverture que cette : "... mise en pratique se fonde sur un paradoxe au regard de la logique logicienne car elle n'est pas identifiable aux formes de l'argumentation en chacun des chapitres..., mais dans la relation diagonale qui les relie." 

Le sinthome traverse le sujet humain donnant lieu à la création et est propre à tous les champs du savoir. "Il amène à considérer toute l'importance d'une question qui relève de l'arrimage de la lettre et du corps, tant chez Laurie que chez Walfson, Wölfi ou Artaud." note Fabienne Hulak. Arrimer : fixer deux choses l'une à l'autre, signifiant que le sinthome cherche, peut-être, à réparer/remplacer du nouage subjectif. L'auteur écrit que chez Joyce, le sinthome peut compenser la carence de l'imaginaire à la condition que le sujet mette une part active dans le travail d'élaboration. L'auteur cite Lacan qui, dans son séminaire XXIII, écrit que Joyce ignorait qu'il faisait un sinthome, il le simulait. Il en était inconscient. De cela résulte le fait qu'il était un artiste, un homme de savoir-faire. L'auteur ajoute que le sinthome (mais aussi symptôme) est un levier à la création, qui produit parfois de complexes élaborations dans l'art et la science et a une fonction de suppléance.

Le lecteur est invité, ensuite, à suivre une analyse très pertinente de la mise en pratique du sinthome, accompagnée d'images, de formules, d'illustrations et des schémas. Dans le premier chapitre intitulé " Le symptôme invention", nous avons un tracé psychopathologique très intéressant référencé à l'inconscient et sa définition lacanienne "structuré comme un langage". À l'intérieur de cette étude, nous lisons la référence à Joyce, Schreber, la patiente de Lacan Brigitte B., la poésie involontaire d'Aimée et à la personnalité singulière de Louis Wolfson. Un terme qui a attiré notre attention, et peu rencontré, est celui de la "schizographie", qui selon Fabienne Hulak est l'avant-garde d'un symptôme.

Impossible de ne pas passer par l'étude lacanienne de la langue (lalangue), et ce qu'il réussit à faire dans son devenir d'analyste. Selon Fabienne Hulak, Lacan "va refaire un parcours depuis la "fonction de la parole et du langage" pour en arriver à considérer le langage comme une élucubration de savoir sur la langue (lalangue), d'où un intérêt portant sur la fonction de la lettre." p.43. Ensuite, l'exemple de Schreber et sa métaphore délirante est abordée afin de tracer ce que l'inconscient à ciel ouvert (expression de l'auteur) exprime, et comment. Deux grands cas de figures sont précisés : l'autisme et le versant schizophrénique

d'un côté, et le délire et le versant paranoïaque de l'autre. Ensuite, les exemples de Joyce et Wolfson reviennent, à la suite du paragraphe dédié à celui qui est Désabonné de l'inconscient. Il est question de différents rapports au langage, notamment Wolfson et l'intervalle entre les deux langues. Il lui a fallu créer un autre monde des signifiants et étudier les sonorités du yiddish afin d'éviter toutes les sonorités qu'il a entendu par la voix maternelle en langue anglaise. Il se dénomme, écrit l'auteur "l'étudiant de la langue schizophrénique ». Elle note également que, selon Léo Kanner, dans la pathologie autistique, certains sujets parlent ou chantent dans une langue étrangère.

Plus loin (p.56), Fabienne Hulak pose l'hypothèse que de se situer entre deux langues, permet au sujet par le jeu d'une procédure de conversion comparable à celle du changeur (nous pouvons nous demander, que changer et par quoi ?), comme dans le champ métonymique, de suppléer à la carence de la métaphore. Entre parenthèse, l'auteur dit que la structure repose sur la métaphore paternelle oblitérée par la fonction. Donc cette métaphore paternelle serait-elle impropre à servir (selon la définition du Petit Robert) ? En page 60, dans le chapitre intitulé "La langue absente" le paradigme de Wolfson revient, au sujet du dispositif qu'il crée afin de trouver un équivalent à la métaphore en passant d'une langue à l'autre. Il s'agit, comme déjà cité, du yiddish, langue absente de la vie quotidienne du sujet, mais langue maternelle de sa propre mère et donc référencée à un passé. Il s'agit pour lui d'un signifiant maître, écrit Fabienne Hulak (p.64), qui est également une langue de fusion, judéo-allemande. À la fin du livre, le concept de fusion relié à cette langue unique revient, utilisé par l'auteur pour décrire un certain malaise contemporain ... Nous y reviendrons également à la fin de ce bref exposé, d'un livre passionnant.

Après plusieurs références théoriques assez complexes, le lecteur est invité à découvrir l'étude de L'homme aux anamorphoses (p.146), suivi d'un essai sur Antonin Artaud, l'hérétique du surréalisme. Fabienne Hulak démontre comment ce dernier peut se faire un corps par le théâtre, procédé qui passe par l'effet du double (référence p. 166). "Dans le champ du scopique le sujet s'inclut dans le tableau, déterminé par l'objet regard dans le lieu de l'Autre." écrit l'auteur. Elle note qu' Artaud veut faire du théâtre une thérapeutique, et cite son ouvrage "Projet de lettre" dans lequel il le dit lui-même. L'auteur nous propose également une comparaison entre Joyce et Artaud, concernant le mathème exténué, (un concept de Lacan) et la place de la parole. Nous la trouvons sous l'expression parole imposée, ou bien insertion de la parole, chez Artaud, qui dans l'écriture se traduit dans les termes de la pensée en acte.

Le chapitre IV "Topologie en acte", l'écriture est illustrée par le cas Laurie Géomètre. Enfant autiste, mutique, gravement anorexique, dans un premier temps elle détruit et déchire, en cherchant à se définir un corps. Enfant très souffrant, chez qui le corps ne pouvait pas exister en tant qu'unité intègre, demeurait plutôt sous un mode d'agrégat de pièces détachées, écrit Bettelheim. Laurie, dans l'évolution de son hospitalisation présentait un talent avec les concepts géométriques complexes. Elle avait la capacité de construire, avec des matériaux inhabituels, un monde dans lequel elle se protège et elle délimite son espace. Elle déchire, détruit et transforme avec ses mains, au fur et à mesure que son corps commence à être un peu investi. Est-ce cela, faire sinthome ?

L'histoire d'Adolf Wölfi, également dans le chapitre IV, enfant orphelin, maltraité qui a eu une vie d'errance et de malheurs. Souffrant d'hallucinations d'une violence extrême, il sera interné et passera le reste de son existence à l'hôpital de Waldau en Suisse. Pendant son hospitalisation, il écrit son autobiographie, une véritable reconstruction de son monde. Il faut outrepasser la musique, nous propose Fabienne Hulak, car certaines créations, comme celle de la page 208, sont parfois 

envahies des notes musicales. Il s'agit des véritables compositions qui rappellent des orphéons ruraux. S'agit-il d'une tentative d' " Écrire l'indescriptible" ? Selon l'auteur : "Wölfï opère grâce à une inscription de la voix hallucinée par le truchement de l'écriture musicale: portées et notes faisant fonction de motifs pictauraux." (citation p. 218) Il crée une oeuvre massive et polymorphe. Ses poèmes sonores ne relèvent pas tout à fait de la glossolalie, nous informe l'auteur. Une langue nouvelle non plus, mais un variant du patois bernois. Ce dernier signifiant n'est pas anodin, car Wolfï et sa mère, sont expulsés de Berne pendant son enfance. Dans son délire paraphrénique, il fait des voyages partout dans le monde, puis dans le cosmos, dont Berne est le centre mais toujours exclu et inaccessible. D'où le retour dans les poèmes sonores d'une langue issue de son enfance, toujours rêvée, ou cadrée par le dessin. L'insertion de création d'Adolf Wölfi, dessiné par lui-même est saisissant.

Dans la Coda de son livre, Fabienne Hulak, avec un humour pertinent intitule la première partie : "INTRADUISIBLES.COM Un malaise contemporain" L'auteur fait référence à Rachel Ertel. In "Brasier de mots", cette dernière aborde la perte de la "langue-mère", ... lieu du "propre" de l'intime et du matriciel. Parfois elle s'absente du rendez-vous de la naissance, écrit-elle. Que se passe-t-il quand au lieu du trait d'union ou de la fusion, il y a discordance, dissonance entre langue et mère ? Par exemple, les survivants de la Shoah, dans l'après guerre étaient déchirés entre le souhait et l'impossibilité du don de la langue de l'univers disparu. Le yiddish, après Auschwitz, devient une langue d'interdit. Mais une langue absente est le contraire d'une langue inconnue. "On peut apprendre une langue inconnue, mais que faire de l'absente ?" avertit Rachel Ertel, citée par Fabienne Hulak. (p. 229)

L'auteur cite le Séminaire XVI "D'un Autre à l'autre." Cette perte du lieu de l'Autre, selon Lacan, lieu "nettoyé de jouissance", est pour certains une perte radicale du sens dans la langue. Donc, une impossibilité de traduction. Les cas cités par Fabienne Hulak, défilent dans nos pensées. Retour à la folle traduction nécessaire, pour Wolfson, et la création de ses règles. Il est dans l'obligation de traduire immédiatement les mots anglais en une ou plusieurs langues étrangères, pour survivre à l'intrusion de la voix de sa mère. L'auteur écrit que cette folle traduction, est nécessaire pour le sujet parce qu'elle noue le niveau de la lalangue au sens, et vise à forer un trou dans le lieu de l'Autre. Elle termine cette réflexion, en disant que cette traduction est l'image inversée de ce qui est en train de se jouer dans le monde contemporain. 

Isolat versus fusion est le titre de la dernière partie du livre. L'isolat est un lieu réservé écrit Fabienne HULAK. Réservé, égal à " l'intraduisible au coeur de chaque langue, son point d'origine en lequel s'oublie d'autres langues, d'où le vertige philologique, son creuset, en lequel se fomente ce délire partagé qu'on appelle sa culture." (p. 233) Sous les lumières de R. Ertel, elle revient au yiddish, pour illustrer l'exemple d'une langue de fusion, qui est en train de devenir une langue morte inscrite au patrimoine de l'humanité. La mondialisation donc, serait-elle aussi un agent de disparition, et si oui, de quoi?

                                                                                                                            Myrto Hadjigeorgiou

________________________________________________________________________Note de lecture  :

"Le métier de psychanalyste" ÉRÈS

              Roland Chemama, Christiane Lacôte-Destribats, Bernard Vandermersch. 

Co-écriture de trois auteurs, analystes qui travaillent depuis plusieurs années ensemble, et qui interrogent et commentent la pratique analytique dans ce qu'elle a de plus quotidien.
Le titre du livre nous dirige au coeur de la réflexion, c'est à dire sur ce que serait un métier et notamment celui du psychanalyste. Le sujet a déjà été maintes fois exploré. Plusieurs lectures ont étaient faites et portées sur ce sujet. Serait-ce donc si simple et si commun de décrire ce qui se passe à l'intérieur du cabinet d'un analyste. Ce livre de 189 pages a le mérite de présenter la profession au travers du prisme des regards croisés de trois professionnels qui s'entremêlent, s'interrogent, se questionnent et se répondent.

Dans l'introduction du livre (page 9) nous lisons qu'aujourd'hui alors même que l'inconscient freudien est généralement admis le sujet contemporain le néglige. Comme l'écrit très justement l'auteur : "Cela se marque dans son rapport au langage, trop souvent réduit à sa valeur informative, coupé de sa valeur d'évocation, de sa dimension métaphorique. L'analyste contemporain a alors la tâche parfois difficile de rappeler cette dimension, et ce livre reprend, entre autres choses, ce projet."

L'ouvrage se décompose en une introduction suivie de trois chapitres : I) La psychanalyse en questions. II) Les temps de la cure. III) L'analyste en question. À la fin de l'ouvrage une page et dédiée à une tentative de conclusion, posée sous forme de question Conclure ? Il s'agit bien d'une question. Comment peut-on conclure sur un sujet si vaste et polymorphe. Nous allons tenter de suivre le cheminement de trois auteurs qui, au fil de leurs expériences respectives, cherchent à dégager leur élaboration théorique inspirée par des exemples cliniques, qu'ils écrivent les uns après les autres, parfois en forme de question - réponse.

Bernard Vandermersch (page 14) note que Freud attribue plutôt une triple définition à la psychanalyse ; il indique que l'inventeur de la méthode, souhaitait distinguer si nettement le procédé d'investigation de la méthode thérapeutique. L'auteur écrit également que Freud était à la "conquête de ce nouveau champ de savoir qui est l'inconscient." Nous citons :
"Psychanalyse est le nom de cette invention qui ne tient que du lien, entre ses trois composants qui eux-mêmes ne tiennent leur consistance que de ce lien". (page 15) Référence en note de bas de page à la triade réel, symbolique et imaginaire de Jacques Lacan. Dans la suite du texte l'auteur en question note qu'ici s'entrecroisent " trois désirs". En premier il s'agit du désir du chercheur de vérité, qui selon l'auteur serait la dimension éthique. En second celui du guérisseur qui correspond à la dimension thérapeutique. Et en troisième la dimension scientifique et celui du conquérant posée en forme de question Pourrions nous imaginer la conquête d'un nouveau champ de réflexion, d'une nouvelle découverte, à caractère scientifique ?

Dans ce même chapitre B. Vandermersch soutient que " la psychanalyse reste aujourd'hui l'un des rares pôles de résistance à la dégradation généralisée de la parole." (page 16) Postulat qui semble juste à travers l'expérience clinique et théorique dont nous pouvons témoigner et avec lequel les psychanalystes, pourraient être d'accord. L'expression de l'auteur pôle de résistance dit peut-être une forme d'exigence à rester fidèle à cette position.
(page 17) " Et les psychanalystes ?" tel est le titre du chapitre 2. Roland Chemama écrit que parler du métier, serait encore nécessairement parler du psychanalyste.

Nous le citons : "L'écrire ainsi, au singulier, ce serait laisser croire que nous voudrions nous demander ce que pourrait constituer "l'essence" du psychanalyste, son idéal si l'on préfère. Nous ne pourrons évidemment le faire. Il n' y a pas, et c'est tant mieux, de psychanalyste type." Nous invitons le lecteur de découvrir cette réflexion intéressante et regard porté sur ce sujet, encore polymorphe, pour en suite étudier, entre autres : "Le vérifiable et le déchiffrable" (chapitre 3), Un psychanalyste peut-il s'assurer qu'il pratique effectivement de la psychanalyse ? (chapitre 5) ou bien quel serait Le style d'une cure ?

Faisant une pause au chapitre 8 "Un art du contretemps." Christiane Lacôte-Destribats écrit qu'un analyste est souvent contrariant. Cette discordance, qui est au temps ce que la dissymétrie est à l'espace (page 52) est ce qui fait d'une cure et de nos entretiens autre chose qu'un dialogue. Entretenir le lien c'est vivre sous la présence - définie en tant qu' impure -, du psychanalyste. S'il ne s'agit pas donc d'un dialogue, à partir du moment où l'outil est la parole même, de quoi parle-t-on ? Nous nous parlons, mais nous ne sommes pas des accoucheurs de la vérité, selon l'auteur, ni à la recherche d'un bien comme dans les dialogues de Platon.
" En effet, cette vérité ne préexiste pas à son moment de trouvaille.
Sa production est de la même nature que la poésie mais le processus passe nécessairement par un autre." (page 52)
Cet autre processus est marqué par les interférences de l'inconscient qui trouvent leur chemin par la parole et par le retour possible de la part de l'analyste. Référence aux lapsus qui interrompent le discours conscient mais qui peuvent entre entendus comme traces de l'inédit, ce qui n'est pas encore dit, et qui selon l'auteur : "ouvrent des brèches qui ne sont pas les réponses ou les questions d'un dialogue, mais des ouvertures pour des inscriptions possibles." (page 52). Ces inscriptions seraient alors transmissibles dans l'ouverture d'une scansion du temps comme Christiane Lacôte-Destribats l'évoque juste après. Dans la tentative de marquer l'émergence d'un signifiant, et joue sur la présence et l'absence et creuse ainsi l' impact de cette intervention jusqu'à la radicalité du fort-da. Loin et ici, les débuts du langage chez l'enfant, ne sont ils pas toujours ceux qui tendent de se rejouer dans les efforts du sujet d' entendre sa propre parole : donner un sens au symptôme et chercher ses signifiants.

Suivant la réflexion de l'auteur sur ce chapitre Un art de contretemps nous sommes invités à osciller également au rythme des aller-retours signés par le temps, la parole, l'écriture et les inscriptions. Par ailleurs nous lisons qu' une intervention de la part du psychanalyste peut prendre sens ultérieurement dans le parcours d'un analysant et qu'il ne suffirait pas que le temps passe pour guérir , "Mais que vaut une prétendue guérison par le temps qui passe s'il n'est le passage de rien ?" ainsi conclut ce chapitre.

Chapitre 9 : Bernard Vandermersch, se demande si ce métier s'apprend-t-il ? S'il ne s'apprend pas serait-ce là, justement l'une de ses spécificités ? Est-ce en cela que la complexité se pose, pour définir ce métier ? Et à partir du moment où les associations libres sont la règle, quelle technique peut y être tissée et établie pour ainsi être transmise. L'auteur fait référence à Freud et ses textes sur la technique psychanalytique, depuis ses Études sur l'hystérie (1895) jusqu'à L'analyse finie et l'analyse infinie (1937)... jusqu'à la position radicale de Lacan quand il affirmait que la psychanalyse n'était pas transmissible ; qu'elle devrait être réinventée - suivant les traces de l'héritage freudien. Selon Bernard Vandermersch l'invention de chacun devrait être soutenue par ce triple désir thérapeutique, scientifique, éthique qui fut celui de Freud et ce toujours sous la spécificité qui peut être présentée par la règle fondamentale des associations libres.Dans la deuxième partie du livre Les temps de la cure une réflexion est portée sur le commencement d'une cure analytique, la position du transfert en lien avec l'inconscient, et la personne de l'analyste, ainsi que "Comment peut-on savoir qu'une analyse a commencé ? " titre du chapitre 11. Nous nous arrêtons un instant au chapitre 13 " Y a-t-il une spécificité des débuts de cure aujourd'hui ?"

Roland Chemama mentionne que parfois le sujet contemporain est dans la demande de la "guérison" immédiate. Un peu plus loin il écrit : (page 82) " Le langage, ici, n'a plus d'épaisseur. Un mot exprime une idée et une seule, et toute dimension métaphorique se trouve exclue. Cela s'accorde certainement avec l'espoir contemporain de maîtriser les choses en maîtrisant les mots. Mais on sait que seule l'attention aux connotations de la parole permet d'approcher le désir inconscient." Il met ainsi en relief la place différente que la psychanalyse attribue à la parole du sujet. Ceci rappelle aussi l'idée déjà mentionnée que la psychanalyse reste aujourd'hui l'un des rares pôles de résistance à la dégradation généralisée de la parole.

Au début du chapitre, l'auteur présente avec pertinence la question de la temporalité dans le versant d'hier et d'aujourd'hui. Il invite le lecteur à penser à renouveler cette conception à chaque époque et en rapport avec la version de la cure analytique. Roland Chemama fait une distinction entre la temporalité d'aujourd'hui - de celui d'avant c'est à dire du dialogue de Freud et Dora. Le début de l'analyse de la patiente serait il idem de nos jours ? L'effet de la demande de la part du sujet, et temps encore une fois : c'est à dire dans une exigence presque de la " guérison immédiate" selon l'expression de l'auteur. En réponse au "comment faire" aucun procédé type n'existe, ni peut-il s'établir pense l'auteur. En revanche il invite l'analyste à être attentif à ce que, chez le patient, renvoie à des particularités sociales ou familiales, voire professionnelles, dont celui-ci pourrait perçevoir, sans forçage, l'effet aliénant.

Ensuite l'auteur tente de donner une réponse à la question de la rapidité et de l'efficacité de la part de l'analysant à l'analyste. Ce dernier, selon lui, peut s'appuyer entre autre à la dimension qualitative "pour faire valoir que lorsque' il s'agit de la subjectivité, les conséquences du principe d'efficacité risquent d'être plus déplorables encore." Difficiles donc, mais aussi inconnues et difficiles à prévoir. Suivant le fil de l'écriture il est question de la place que le langage pourrait prendre (avoir) dans la cure par la parole et plus spécifiquement "le plan des rapports du sujet au langage qui est décisif" . Il propose l'idée d'une construction inspirée - dès les premières séances - par une sorte d' "anticipation qui fasse un peu sortir de ce que l'analysant installe comme limites de sa compréhension." Nous pouvons penser à la dimension artisanale en se référant au titre de ce chapitre Comment faire ? La façon dont la parole est maniée et entendue, par la quelle l'analysant peut entendre d'une autre façon ce qui est dit ou ce qui a été dit, ou pas d'ailleurs.

Quelle spécificité finalement au début d'une cure aujourd'hui ? Selon Roland Chemama il s'agit d'un penchant vers une attention particulière à la question du temps dans son ensemble. Il s'agit, peut-être, d' un lien possible à nouer entre le passé, le présent et le futur sous les rouages de l'inconscient. Car, selon l'auteur, la temporalité propre à notre monde est celle d'un présent détaché de l'avant et l' après. Espace auquel le sujet est incité à entrer par son inconscient, dévoilé à travers le langage et parole dans le cadre de la cure. Concernant cette "fonction" de la cure voici ce que conclut Roland Chemama (page 84).
" L'analyse ne peut sans doute pas fonctionner hors d'une dialectique entre l'anticipation foudroyante de l'interprétation, et le temps plus long de l'élaboration qu' elle précède d'une certaine façon, même si elle intervient aussi, assez souvent, dans un après-coup qui éclaire d'une lumière vive ce qui jusqu' alors s'est développé dans l'ombre."

Au chapitre suivant Diagnostic et interprétation Christiane Lacôte - Destribats propose (page 90) :
" Ce qui semble plus adéquat, nous semble-t-il, c'est de pouvoir faire entendre à ces patients la qualité de jouissance qu'ils mettent à leur parole afin que, parfois, ils puissent se l'approprier, mais sans se passer d'un détour par notre présence et notre attention, et sans se passer non plus de ce qu'ils sentent bien : une interrogation, voire une perplexité, attentive et discrète, qui ouvre cette parole."

En suite nous passons au chapitre 15 intitulé " L'interprétation vise-t-elle un sens ?" Roland Chemama s'oppose à l'idée que l'interprétation soit conçue comme dévoilement d'un sens sexuel. La place de la sexualité humaine n'est pas contestée. Il semblerait plutôt qu'interpréter toujours en référence au sens sexuel, ou encore à un sens oedipien c'est rendre la démarche très simplificatrice et nous ajoutons unilatérale et sans relief. Il rappelle qu' un des grands apports de Freud concernant la sexualité consiste à l'introduction, en deçà ou au-delà du génital, la dimension sexuelle de pulsions orales ou anales. Idée qui inspire l'importance de la vie précoce et les stades de la vie psychique définis par Freud, comme par exemple le 2nd essaie de 3 sur la théorie sexuelle où il est question de pulsions orales du nourrisson. L'auteur se demande s'il faut se précipiter pour penser que ce "tetable" renvoie directement et toujours à ce qui peut-être tété, comme par exemple le sein. Et si c'est le cas, l'analyste devrait-il prononcer cette interprétation à l'analysant ? Justement, il ne faut pas oublier que c'est qui est important pour le sujet n'est jamais réductible à un objet réel, dans ce cas le sein et la satisfaction du besoin de nourriture. Il s'agit plutôt de frayer le chemin vers la recherche du signifiant puisque l'objet est perdu d'emblée et pour toujours.Le paragraphe intitulé " De l'équivoque au hors-sens" conduit Roland Chemama à préciser que pour Lacan l'équivoque va contre le sens. La définition du mot même signifie ce qui peut s'interpréter de plusieurs manières, et demeure ambigu. Il mentionne l'exemple d'une parole prononcée par l'analyste qui conserve une part d'énigme (même si elle n'introduit pas de mot étrange comme tetable). (page 94) Cette parole ne peut s'entendre d'une seule manière, fait qui ouvre le voie vers les rouages de l'inconscient. L'analysant peut en venir à renoncer à l'univocité de sens écrit l'auteur. Le tissage à faire (et par le transfert), pourrait amener l'analysant, à faire sa propre construction du sens émergeant inconscient, et en articulation avec les rêves, les lapsus et les mots d'esprit. L'auteur fait référence à Freud et sa tentative de créer un second texte possible d'être écrit sous le texte apparent par l'émergence du discours (souligné par nous) et les résonances multiples. Il poursuit que l'interprétation en analyse n'est pas du tout plate ni arbitraire mais "d'une certaine façon orientée." Allant très en arrière dans la vie du sujet à savoir celui des signifiants premiers "à l'orée du langage" ( titre de la thèse de l'auteur de cet article) qui ont orienté le destin du sujet. L'auteur amène notre attention à la signification qui peut avoir sur un enfant les paroles qu'il ne comprends pas, mais qui semblent témoigner de ce que ses parents attendent de lui. Il n'exclue pas que les phonèmes auxquels ce désir est resté accroché, puissent réapparaître régulièrement dans la vie du sujet à son insu, et ignorance à quoi ils sont liés. ( référence page 94).

Nous pensons aux efforts de l'infans à déchiffrer le bain de langage dans lequel il arrive, et le passage du son au mot, du cri à la parole (expression personnelle). Roland Chemama soutient en faisant référence à ces paroles attendues de la part du sujet qu'il n'est pas vraiment question de sens, mais d'éléments purement formels, qui semblent de répéter de façon quasi automatique. Il fait appel à Lacan et notamment son séminaire XI Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Il semble dire que la psychanalyse a pour effet de faire surgir un signifiant irréductible. Concernant l'interprétation, l'idée de Lacan consiste au fait que c'est une interprétation significative. Le sujet vient face à une part "hors sens des signifiants" qui vont l'aider à se situer par rapport à sa place dans l'histoire familiale ou bien " dans quel fantasme il se trouve pris sans le savoir." (page 95)

Une proposition est faite à l'analyste d'aujourd'hui pour qu'il puisse venir à l'aide du sujet contemporain souvent désorienté au niveau collectif : donner des indications plus précises sur le sens que peuvent prendre, dans la trajectoire du sujet, des façons de faire qui peuvent d'ailleurs l'étonner lui-même." M Chemama écrit que cette tâche ne devrait pas être esquivée de la part de celui qui écoute avec l'ouverture que cela pose, et une invitation à revenir sur cette question - que selon lui, déborde peut-être le cadre de l'interprétation au sens strict. Le lecteur est ainsi amené à réfléchir sur son propre avis autour de ce sujet, inspiré par sa clinique de psychanalyste ou en voie de le devenir.

Dans les chapitres 16 et 17 Bernard Vandermersch prolonge le questionnement sur le champ de l'interprétation. Il se demande que viserait-elle ? Est-ce une tentative de lever le symptôme par un jeu de mots qui délivre son sens caché, écrit-il. Quelques lignes plus loin il poursuit qu'il ne s'agit pas forcement de lever le symptôme, ou le faire entendre par le déterminisme langagier. Il constate que l'interprétation s'adresse au sujet du désir, sujet de l'inconscient, et ce fait suppose que l'analyste puisse toucher le sujet au-delà de la personne qui parle.

La référence à l'objet a n'est pas étonnante, définit en tant qu' objet cause du désir. Il paraît que la psychanalyse a depuis longtemps repéré la présence insistante dans les cures de certains objets apparemment attachés à de fonctions biologiques comme le sein et les excréments. Une allusion nette aux stades oral et anal aboutissant à un stade génital.

Lacan, celui qui a crée la référence à l'objet a, démontre d'une certaine manière que la nécessité pour le sujet de ces objets (autour desquels tournent les pulsions) ne tient nullement aux besoins du corps dans lesquels ils ont été impliqués. Il ajoute d'ailleurs à l'objet oral et à l'objet anal, le regard (pulsion scopique) et la voix (pulsion invocante). Il constate qu'à partir du moment où ils n'ont plus leur statut initial et notamment plus liés aux besoins vitaux - ils sont venus à fournir un Ersatz d'être au sujet parlant et donc fournir une cause du désir. C'est à ce moment qu'on parle d'objets a, note Bernard Vandermersch. (page 100). Dans le chapitre suivant autour du même sujet, il constate que se passer de la fonction de l'objet a dans l'acte de l'interprétation, est une tâche difficile. Puisque c'est cet objet a cause du désir, qui est à faire surgir dans l'écart entre le signifiant qui représente le sujet et l'Autre auprès duquel il le représente (page 103). Une réflexion pertinente et inspirante est développée à ce sujet dans les pages qui suivent, que nous vous invitons à découvrir sous la plume de l'auteur, passant par la notion de la jouissance, d'une affaire de bord et bien d'autres. Le destin du fantasme dans la cure est un questionnement qui surgit également dans ce deuxième partie de l'ouvrage.

Dans le troisième chapitre "L'analyste en question", plusieurs sujets qui préoccupent les professionnels du métier sont abordés. Nous estimons qu'une lecture personnelle sera enrichissante pour celui qui lit et sera invité à réfléchir autour de la responsabilité de l'analyste, que croit-il, et sur quoi se fonde sa certitude et bien d'autres idées et interrogations. Avant de conclure Christiane Lacôte-Destribats intitule le dernier chapitre "À quoi bon gémir ?", au sein duquel une question qui se pose est "La psychanalyse une addiction parmi d'autres ? Et puis une autre "Un écart renouvelé ?" L' auteur note que parfois les analysants restent engagés dans la cure analytique, non seulement pour le soutient qu'ils y retrouvent, mais surtout grâce à la proposition d'un écart renouvelé, sans cesse à refaire chez eux, apaisant une immédiateté ravageante entre les mots et les autres. ( citation page 180).
Nous choisissons de terminer notre note de lecture avec cette idée, à la place d'une conclusion sur le métier de psychanalyste.

                                                                                                                           Myrto Hadjigeorgiou


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